Le Perche
Les XVIIe et XVIIIe siècles

e n'est pas encore fini des violences entre le pouvoir et les féodaux, puisqu'il y a les soulèvements du début du règne de Louis XIII et la Fronde. Aucun grand événement d'importance nationale ici. On sait que plusieurs manoirs furent saccagés, on rapporte cet incident mortagnais : des voleurs brisent une fenêtre à l'hôtel du président du présidial ; sa femme est dans la pièce ; elle les repousse pertuisane à la main.


Au lendemain des guerres de religion, commence une série de mutations économiques et sociales. La fixité des froits féodaux, liée à l'augmentation générale des prix, est fatale à la noblesse rurale, déjà ruinée par les troubles. Ainsi, verra-t-on beaucoup de manoirs acquis, dès ce temps, par les "laboureurs" type même des paysans assez aisés pour posséder leur terre.


Autre signe des temps, l'émigration percheronne au Canada.


Robert Giffard, chirurgien de Mortagne né à Autheuil, près de Tourouvre, part pour la "Nouvelle France" vers 1620. Il revient en 1627, se marie, entre dans la Compagnie des Cent-Associés, destinée à développer la colonie, finalement repart en 1634. Pas seul : en sa compagnie, quelques mortagnais ou tourouvrains, liés avec lui par des contrats notariés qui prévoyaient la cession de bonnes surfaces de terre à défricher contre des obligations de travail. Ils réussirent. Il y eut quelques autres départs jusque vers 1665. Dans un esprit tout différent, Madeleine de la Peltrie s'en alla comme "mère des pauvres et des malades" à Québec. Si l'on s'en tient seulement au nombre des partants, il paraît minime- Mais ses incidences furent importantes si l'on en juge par le nombre des canadiens actuels qui portent les noms de ces ancêtres, et parfois viennent au vieux pays y rechercher des "cousins".


Le Perche était alors un pays "d'arts et métiers" très actif. Aujourd'hui, dépourvu des avantages favorables à l'industrie depuis un siècle et demi, il réunissait la plupart de ceux qui conditionnaient l'activité pré-industrielle. Dans le sol, beaucoup de gisements d'argile convenant à la brique, à la tuile, à la poterie grossière ; du sable, base du berre ; des poches de minerai de fer, petites fosses profondes de quelques pieds. Des forêts, bases du charbon. Des ruisseaux dont le faible volume du débit était compensé par des pentes assez rapides, d'où multiplication de moulins dont quelques-uns animaient les martinets des forges, d'autres broyant le vieux linge pour le papier. Une main d'oeuvre abondante, car la médiocrité fréquente du sol obligeait à chercher un complément- En fait, dans les villages la population pauvre partageait son temps entre la culture et le métier : les ateliers supportaient aisément les interruptions de travail pour que l'ouvrier allât aux moissons (en Beauce d'abord sur place ensuite) ou à d'autres travaux saisonniers.


Dans les villes les plus importantes, il y avait des ouvriers employés à la fabrique. Quand, dans les années de mauvaises récoltes, le pain enchérissait ou manquait, les paysans du voisinage redoutaient l'apparition des "quainmandeux de la ville" plus ou moins menaçants. Le travail salarié urbain était surtout dans le textile, en dehors des artisans du bâtiment. Le tissu le plus renommé était l'étamine, lainage ou soierie fine, propre aux vêtements ecclésiastiques et aux robes des auxiliaires de la justice. Une enquête de 1708 révèle quatre cents métiers à Nogent, chacun donnant du travail à sept personnes, tant en ville qu'à la campagne voisine.


L'importance de la production a progressé jusque vers 1760. Les autres centres sont Montmirail, Authon, Bellême, Mortagne.


Mortagne et Bellême, plus que de l'étamine, produisaient les toiles de chanvre, celui-ci cultivé sur piace ou tout près, dans le Saosnois et la Marche. Avant la Révolution, plus d'un millier de métiers étaient répandus dans les villages. Le travail fait se portait aux grossistes de la ville. Ces toiles étaient diffusées hors du Perche sous le nom de "Mortagnes" comme on disait naguère du "Tarare", du nom de la ville proche de Lyon.


Le fer était produit surtout dans la région Nord, dans des lieux oÙ le calme rural de nos jours ne peut nous faire songer au bruit des forges : Boissy-Maugis, La lande-sur-Eure, La Madeleine-Bouvet, St-Victor-de-Réno, Tourouvre, Longny. Vers 1760, la pénurie menaçante du charbon de bois inquiétait les maîtres de forges. Le célèbre Helvétius voulut ainsi en installer une nouvelle à Voré (voir à Rémalard). Les récriminations qui s'en suivirent, auprès de l'intendant d'Alençon, l'obligèrent à renoncer.


Les dernières années de la décade 1780 ont amené une crise économique et des sursauts de misère. Néanmoins, nul ne pouvait se douter, quand les trois ordres réunis à Bellême au printemps de 1789 y nommaient leurs députés aux Etats Généraux, qu'on entrait dans un tourbillon d'événements : la Révolution et l'Empire.